UN AMOUR DE FRÈRE !

A CUBA, UN ANGE INDIQUE LE NORD

a cuba, une statue nous indique la direction

Elle est en nage. Les jambes écartées, les pieds enfoncés dans le étriers, elle s’arcboute, pour pousser et hurler en même temps, en une confusion de sensations qui explosent et culminent en un paroxysme de fèces et d’urine mêlées.
La sage-femme, rapide et efficace, lui présente le bassin à chaque fois qu’elle déféque, et à chaque fois, Sophie pense sa dernière heure arrivée.
Le bébé joue au yoyo. Il descend, s’engage dans le col de l’utérus, juste un peu, puis une fois qu’il fait trop mal à sa mère, remonte, comme effrayé par ce qu’il met en action.
Cela fait huit heures que ça dure, Sophie pense ne pas pouvoir tenir davantage.

Le médecin accoucheur, prévenu, a fait savoir qu’il est à un tournant important d’un tournoi de golf , et qu’il ne voit pas pourquoi il interromprait une partie par ailleurs passionnante, sous prétexte qu’un petit con a décidé de l’emmerder dès sa naissance.
Il pense souvent, qu’une naissance compliquée, augure mal du reste de l’existence du pauvre hère qui s’annonçe, et il ne voit pas pourquoi il contribuerait à le mettre au monde.
En résumé, le docteur pense que plus sa présence s’avère indispensable, plus cela augure mal de la vie du nouveau né.
Donc, il a décidé de ne plus laisser les petits emmerdeurs diriger sa vie. Dans cette histoire, il a oublié avoir été formé pour ça.
En l’occurrence, la sage femme pense que si il ne vient pas rapidement, la patiente risque de fortes complications et, au pire, d’y laisser la vie.

Au bout d’un travail de plus de douze heures, le médecin, auréolé du nouveau prestige de vainqueur du tournoi de golf des plus de 55 ans du quartier de Monbassa, pénétra d’un pas pressé dans la chambre de la parturiente.
Sophie , dans un état de semi conscience, entend la voix masculine du médecin, lui dire :
« allez ma petite dame, on ne mollit pas, on pousse, je vois sa tête, à ce petit con, c’est bien un garçon, au fait? »
Sophie doute de ses sens et pense être abusée par la souffrance et la fatigue.
Au bout d’une poussée herculéenne, avec l’aide conjuguée du médecin et de la sage-femme, le bébé, sort hors du ventre maternel, il ouvre les yeux, cligne des paupières et échappant aux mains nappées de gants gluants et froids qui l’accueillent, se précipite à l’intérieur du vagin dilaté de sa mère pour disparaitre dans la matrice sanguinolente.
Sophie hurle, le médecin tend les mains, en un geste désespéré et tardif pour retenir le bébé, la sage-femme, laisse tomber le scalpel, prêt a sectionner le cordon qui disparait à la suite du bébé fugueur.
Du coup, le ventre de Sophie, un temps soulagé et redevenu normal, redevient énorme, et distendu. On peut suivre la progression du bébé sous la surface de la peau, aux ondulations qu’il fait subir à l’épiderme maternel .
Sophie se renverse en arrière et dans un hurlement, perd connaissance.
Le médecin, recouvrant l’usage de sa voix laisse échapper un «  ah le petit con,non mais il va voir de quel bois je me chauffe, Hélène, scalpel s’il vous plait, appelez moi le bloc, on la monte, césarienne dans huit minutes! »
Heureusement, le père de l’enfant a eu la bonne idée, de privilégier son travail aux souffrances féminines. IL est actuellement en Norvège, donnant une conférence sur les modifications du changement climatique, inconscient de ce qui se joue entre son bébé et l’obstétricien.
A l’intérieur de la matrice maternelle, l’enfant retrouve l’éclairage tamisé , légèrement rosé, les bruits atténués, les voix assourdies, le portage de l’eau, le clapotis des ondes maternelles.
Epuisé par sa tentative de naissance avortée, il se love contre le corps de son jumeau et s’endort.
Le jumeau, dérangé dans son balancement quotidien, ouvre un oeil, se laisse aller contre le corps légèrement froid de son frère.
Vu de l’intérieur, il est plus petit, plus rablé, moins robuste que son frère, qui a pris toute la force et la rondeur que sa mère lui a donné.
L’autre est un avorton.
Il n’a pas pu sortir derrière le corps plus large de son jumeau, et en conçoit du dépit et de la colère.
IL sait que personne n’a eu vent de son existence, et est bien décidé à en découdre notamment avec ce médecin prétentieux et négligent qui a laissé son frère fuir devant ses responsabilités.
Lui, petit mais robuste, est bien décidé à les affronter, voire à les provoquer ; se battre avec ce chirurgien de pacotille ne lui fait pas peur : ’il est sûr de l’appui inconditionnel de la sage femme, sûr que la gent féminine ne se laissera pas faire, face aux manoeuvres déplacées du machisme déguisé du patron du service.
Il a partagé la matrice pendant neuf longs mois, a laissé la primeur à Robert , la préséance, le privilège d’ainé sur tout ce qui se présentait, les nutriments, la place près du poêle, une place prioritaire pour sortir le premier, ce qui dans les transports en commun du ventre maternel l’oblige à mille contorsions et à mille arrangements.
Au final, il est frustré, coincé , la tête écrasé par le diaphragme, la respiration coupée à chaque mouvement de leur mère.
Robert, en pole position pour la sortie, par rapport à son frère, s’épanouit, grossit à vue d’oeil, floride et benêt, reconnaissant envers son frère de tous les sacrifices consentis, ce, dès avant de naître!
Robert a l’avantage de l’ainé. Josuha, frustré et revanchard, le déteste chaque jour davantage. Il fourbit ses armes et sa haine, espérant une vengeance prochaine, et attend son heure
Aussi laisse-t-il Robert, s’endormir, épuisé par sa tentative avortée d’entrée dans le monde des hommes.
Josuha veille.
Dès qu’il se rend compte que le chirurgien a décidé de passer à l’attaque, il se rencogne dans son coin, laissant le plus de place possible à son jumeau.
Lorsque le scalpel déchire la poche placentaire, il bande ses muscles ramène ses pieds au niveau du menton,et, au moment où le médecin vient chercher Bob, il détend ses muscles et projetant ses jambes en avant, dans un coup de pied violent, envoie son frère se fracasser sur le sol de la salle d’accouchement.
Un silence accueille la chute brutale du bébé, qui atterrit sur le sol en se rompant le cou, mort .
Sophie est inconsciente, endormie, sur la table d’opération, livrée aux mains expertes du chirurgien golfeur.
La sage femme retient une exclamation de surprise, aussi tôt couverte par le juron de l’obstétricien, « merde! il y en a un deuxième! »
La sage femme regarde son patron.
Un sourire sardonique se fait jour sur les traits grossiers du médecin.
Il fait un clin d’oeil à son assistante et en un tournemain, jette le petit corps bleui dans la grande poubelle médicale, qu’il s’empresse de fermer et de marquer des bandes adhésives spéciales : «  danger, contagieux à n’ouvrir sous aucun prétexte. »
En pleine période de peur panique d’une pandémie du virus Ebola, il n’y a aucun risque que le sac soit ouvert.
Personne ne connait l’existence du second jumeau, qui peut donc aisément passer pour le seul enfant issu de cette césarienne, pratiquée d’une main de maitre par le meilleur obstétricien golfeur de la clinique.
Il se tourne vers la sage-femme pétrifiée. Et dit d’une voix de basse à peine voilée d’une menace contenue :
« Ecoutez, c’est son troisième enfant, elle n’a que faire de deux jumeaux, on ne lui dit rien, ni vu ni connu, personne ne saura sauf vous et moi. je serai une tombe, je peux compter sur votre discrétion, Madeleine? »
Abasourdie,habituée à s’associer aux décisions de son patron que personne ne conteste jamais dans le service, elle hoche lentement la tête, tentant de chasser de sa mémoire, la vision pitoyable du petit corps atterrissant sur le sol en carreaux blancs rougis de la salle d’accouchement .
Elle scelle ainsi, le secret du destin du bébé meurtrier.

Ils regardent les souhaits de prénoms de l’enfant : Robert !
Quelle drôle d’idée, le deuxième prénom, Josuha.
le médecin, légèrement fatigué par sa nuit de veille mouvementée, hoche la tête et inscrit l’heure de la naissance, marquant Josuha sur la fiche provisoire.
Puis, il sort de la salle d’accouchement et croise dans le couloir, le père qui vient juste d’arriver, d’Amsterdam.
« Ah! docteur ! tout va bien, tout s’est bien passé?
oui sans problème, la mère et l’enfant se portent à merveille, une césarienne sans histoire! »
Le père, pressé de retrouver son épouse est déjà en train d’entrer dans la chambre où repose la mère et l’enfant.
IL soulève le bébé, pour le regarder et le linge qui recouvre son visage se défait, révélant la présence d’une tache de naissance dont le contour fait penser à un visage d’enfant qui , à travers l’épiderme du bébé, regarde son père avec ce qui semble à Richard, comme un air de reproche.
Réprimant un sentiment de malaise, il repose son fils et se tourne vers sa femme qui s’éveille juste de son anesthésie. IL dit :
« bonjour ma chérie, il faudra faire enlever sa tache de naissance à notre fils c’est disgracieux, mais il est magnifique. j
J’ai réfléchi, que dirais-tu de l’appeler Josuha et non Robert comme nous l’avions décidé,? Je préfère pas toi?
Sophie ouvre les yeux et à moitié encore dans les vappes, sous l’influence du puissant narcotique utilisé pour l’endormir pendant la césarienne, hoche la tête et se tournant du coté du bébé, se rendort sans voir le sourire de satisfaction se faire jour peu à peu, sur les lèvres saines et bien dessinées du nouveau né.

SARAHLOUP

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2 Commentaires

  • Reply
    DIDIER CELISET
    22 février 2016 at 8 h 42 min

    Un texte magnifique

    • Reply
      sarahloup
      22 février 2016 at 9 h 02 min

      merci beaucoup de ce commentaire élogieux auquel je suis très sensible
      très cordialement

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